Abus de langage.
Allez savoir par quelle injustice de la sémantique l’on ose qualifier de con l’exquise fleur cachée que chaque femme recèle en elle quand la plus désopilante fadaise jamais imaginée par l’homme répond au doux nom de Toyota Corolla.
Corolla. La corolle. Comment user d’aussi charmantes allusions florales à l’endroit d'un prêt à consommer automobile suscitant le même degré de lyrisme qu’un four à micro-onde en promo chez But ?
Icône de la platitude universelle, plus petit dénominateur commun de la niaiserie planétaire, symptôme du broyage des goûts et des couleurs en une seule bouillie informe, fossoyeuse de tout élan créatif forcément non rentable, adversaire résolue de l’avant-garde au point de conserver le même patronyme éculé d’une génération sur l’autre, cette corolle-là tient plutôt du corollaire de roman d’anticipation.
Le voilà devenu palpable, le rêve de modernité, aseptisé, déshumanisé, du meilleur des mondes possibles. Et la réalité du Toyota way of life dépasse les plus effroyables fictions d’Huxley ou d’Orwell. Dramatiquement anonyme, sans histoires et sans histoire non plus, cette insignifiance sur roues fonctionne à l’ordinaire sinon au quelconque, distille ses triviaux services sans heurt ni saveur particulière, n’attire pas plus le blâme que l’envie, rase les murs et marche à l’ombre.
Elle nous évoque la navrante insipidité de ces collègues de travail toujours tirées à quatre épingles et propres sur elles, ces bêcheuses désopilantes qui arrivent toujours à l’heure au boulot et se tiennent raides dans leurs petites bottines, le bloc-note serré au plus prêt du corps, ces proprettes à binocle qui écrivent comme des institutrices de CP et rebouchent consciencieusement le capuchon de leurs petits stylos ro-roses, ces frigides dont on aimerait qu’elles aient pour une fois cette petite mèche revêche ou ce bouton de chemisier défait. Hélas, miss Corolla ne décroisera pas les cuisses pas plus qu’elle ne se déridera le minois. Par ailleurs, lui a-t-on seulement déridé l’aumônière ?
Quel abus de langage d’appeler Toyota Corolla pareille peste ! N’aurait-il pas mieux fallu l’appeler Toyota Choléra ?
Il nous faudra hélas apprendre à supporter l’insupportable, car depuis trente ans, chaque voiture qui tombe en panne est une publicité gracieusement offerte à Toyota. C’est qu’à force de mépriser un client considéré au mieux comme une propriété privée, au pire, comme un cobaye, les vieilles gloires du vieux monde ont elles-mêmes nourri le géant nippon, et ce jusqu’à en faire aujourd’hui le premier constructeur mondial.
En politique comme dans le commerce, le leadership ne se prend pas, il se ramasse, et nous ne sommes pas loin de traiter les responsables de ce hold-up de gros cons, ce que nous nous garderons bien de faire, de peur d’insulter injustement ce trésor d’anatomie féminine complice de nos plus inavouables émois.