Saab 900 : what else ?
Pour les siècles des siècles, Orff implique Carmina Burana, il n'y a rien de nouveau chez Erich Maria Remarque (il est toujours à l'ouest), Kafka se métamorphose à l'infini et Lelouch rime ad vitam eternam avec chabadabada. Par ailleurs, pourrions nous seulement imaginer un Trust non antisocial ou un Jean-Michel Jarre sans oxygène ? Ainsi abondent les créateurs (re-)connus que par une seule et unique oeuvre, et le constat se vérifie aussi en automobile. Pas d'AC sans Cobra, de De Tomaso sans Pantera et de Saab sans 900 !
Définitivement, la 900 recèle et symbolise Saab à elle seule. Et pourtant, dévoilée en 1978, elle doit à peu près tout à la Saab 99 de 1968 (qui s'en souvient ?) dont elle n'est qu'une profonde évolution, tout comme la 240 dérive étroitement de la 140 chez les suédois d'en face. Objectivement, le pare-brise quasi vertical et les gouttières de toit trahissent déjà l'obsolescence d'une auto un peu trop bizarroïde pour écarter le béhèmiste pratiquant de ses références idéologiques. La 900 va cependant bénéficier d'une série d'opportunités marketing à même de façonner une légende. L'emploi systématique de la traction avant depuis les origines de Saab et l'investissement précoce de la firme dans la turbo-compression dès 1979 (via la 99 Turbo) va servir une image avant-gardiste en rupture avec le stéréotype de l'automobile suédoise que représentent les bahuts Volvo. Mieux, la publicité joue à fond sur les racines aéronautiques de la marque, qu'évoquent vaguement l'arrondi du cockpit et les jantes des 900 Turbo 16 opportunément surnommées "Aero". Et tant pis pour le Cx désormais quelconque, la 900 est d'abord "différente", un leitmotiv de la propagande Saab. A cela s'ajoute la bénédiction d'une version cabriolet particulièrement réussie puisque privée du disgrâcieux arceau qui enlaidissaient bien des baignoires à l'époque. Avec elle, l'amateur d'exotisme pouvait acheter une suédoise sans rouler en char d'assaut, le tout sans renoncer au sécuritarisme inhérent aux produits suédois.
La recette fait mouche et la 900 assied le succès du griffon dans les années 80, particulièrement chez les frustrés sécuritaires d'outre-Atlantique, mais non sans fossiliser l'identité Saab aux yeux de fondamentalistes convaincus d'appartenir à une élite définitivement à part. Tant et si bien que la 9000 eut du mal à se faire accepter comme une "vraie Saab" en raison des accords avec Fiat, matérialisés ici de façon trop voyante par une cellule centrale empruntée aux Lancia Thema, Fiat Croma et futures Alfa 164. Vaine considération dans le gigantesque meccano d'une industrie régie par les joint-ventures et les fusions-acquisition !
Qu'importe, c'est déjà le début de la fin pour Saab que GM reprend en 1990 mais n'en fait rien ou si peu. Au binôme 900/9000 succède le duo 9-3/9-5 sur base Opel. Abonné aux 4 cylindres, Saab y gagne au passage un V6 et accède au Diesel, désormais obligatoire en Europe. Hélas, l'opportunité de développer une large gamme "premium" allant de la citadine chic aux SUV est laissée à Volvo qui, sous la houlette de Ford, se défait avec succès de l'héritage embarrassant de la 240. Derrière les navrantes 9-2X et 9-7X, Saab ne peut offrir que des Subaru Impreza et Chevrolet TrailBlazer grossièrement maquillés, autant de moyens proportionnels au puissant intérêt de GM pour une firme aux abois. La clientèle vieillit, le réseau se délite et la marque attend comme Godot le renouvellement de la 9-5 tandis que de chimériques concept-cars meublent une actualité désespérément vide. Déjà, certains vautours venus de Chine ont arraché au mourant les droits de fabrication de ses véhicules. La fin de Saab ressemble étrangement à celle de Rover.
Alors, que s'est-il passé chez Saab depuis l'emblématique 900 ? A vrai dire, quasiment rien, il n'y a rien à pleurer. Vous pouvez donc arrêter l'histoire à 1994 et jouir à l'envi de LA Saab définitive... et de ses cours à la hausse.