Qu'importe l'ivresse pourvu qu'on ait le flacon !
La rhétorique, nous dit Schopenhauer, est l'art d'avoir toujours raison ou, à défaut, de retomber au mieux sur ses pattes. Une nécessité dans ce monde d'imposteurs professionnels où triomphent conseillers en communication, démagogues alliés du Système et autres philosophes de tête de gondole ! Toutefois, il faudra probablement plus que de l'habilité verbale à Citroën pour ériger sa nouvelle saucisse bling-bling, basée sur une C4 Picasso et privée de moteur V6, en parangon du luxe à la française. D'ici là, la DS5 Hybrid4, c'est son nom, brouille les codes établis, suscite les interrogations et déchaîne déjà les passions sur les forums électroniques. Une première victoire médiatique pour cette nouvelle DS, alias Different Spirit. Sauf que différent ne veut pas forcément dire meilleur.
L'altérité a la cote chez les vendeurs de vent. Ainsi, quand un vieux président est poussé vers la sortie par son élève aux dents longues, il nous confie, la voix étranglée par l'émotion, qu'il est temps pour lui de "servir la France autrement". Et lorsqu'un constructeur automobile généraliste se plante sur le segment phagocyté par les allemands des grandes berlines statutaires, il affirme sa volonté de "faire du haut de gamme autrement". Telle est la stratégie suivie par Citroën avec le gadget-marketing de la ligne DS dont la DS5, présentée ces jours-ci à Shanghai, est le couronnement. La posture du haut de gamme alternatif pour mieux éviter les comparaisons désobligeantes avec la crème du segment D, cela ne date pourtant pas du dernier flop. Voilà dix ans déjà, Renault nous avait fait la coup avec sa Vel Satis, concept intello-prétentieux au croisement d'un salon ligne Roset et d'une armoire bourguignonne.
Dans les arcanes du Technocentre de Guyancourt, on la surnommait "le taxi", c'est dire le sérieux qu'elle suscitait en interne. Pour la com', c'était "la voiture des bobos, le haut de gamme qui séduit autrement, blablabla". Vous vous souvenez ? Le concept de berline-haut-de-forme a un temps fait des émules chez d'autres généralistes en panne de prestige. Cela nous a donné des Opel Signum, Fiat Croma II et autres Seat Toledo III, autant de sinistres fours ayant sombré dans le plus compréhensible oubli à la suite de leur inspiratrice. Aujourd'hui, c'est au tour de la DS5 d'actualiser cette brillante idée en la complexifiant encore un peu plus. Tout à la fois berline, break, monospace ou Stupid Ugly Vehicule, cette grosse vache façon Mercedes Classe R (prodigieux succès cela va sans dire), survole à peu près tous les genres sans en retenir la moindre des qualités. Est-elle fine ? Non. Modulable ? Que nenni. Tout chemin ? Surtout pas. Statutaire ? Euh...
Pour nous séduire autrement, "DS5" (oubliez l'article défini, c'est has been) a pour elle sa technologie hybride-diésel associant un 2l HDI 163 ch à des auxiliaires électriques. Rompant avec la condescendance néocolonialiste occidentale, Citroën en a réservé la primeur au salon de Shangai. Certains voient déjà dans la mégapole chinoise la Detroit du XXIème siècle. Il y a quelques années encore, la marque aux chevrons y venait avec des ZX rafistolées. Pour sûr, l'Eldorado chinois fascine ou angoisse (suivant que vous soyez actionnaire ou ouvrier franc-comtois), sauf que le marché local goûte autant les berlines hautes diésélisées que l'américain moyen le soccer. Par ailleurs, rouler des mécaniques sur ce marché neuf friand de prestige avec un simple 4 cylindres comme motorisation de pointe, cela ne fait guère sérieux. La fée électricité a beau arriver à la rescousse pour atteindre 200 ch en cumul, Citroën, contrairement à Lexus et d'autres, se prive du prestige psychologique d'un V6. Mais aussi, de la fameuse suspension hydraulique. Les prétentions haut de gamme claironnées sous le crépitement des flashs se heurtent ici aux limites de la plate-forme PF2 commune aux 3008 et C4 Picasso. La grenouille se ferait-elle plus grosse q'un bœuf ?
Accordons un instant à Citroën le bénéfice du doute. Après tout, le monde change. La sociologie du haut de gamme aussi. Nos marchés automobiles dits matures semblent avoir dépassé leur stade phallique puisque le prestige du conducteur ne se mesure plus seulement à la taille de son engin et à ses performances supposées... Béhême, Merco et Taudi l'ont bien compris en séduisant à leur manière les dindes des beaux cartiers et autres play-boys hirsutes avec leurs citadines branchées. Par ailleurs, le malthusianisme énergétique ambiant accrédite chez les motoristes l'idée que "moins c'est mieux". Ainsi, même les plus grands abandonnent les V10 pour des V8, les V8 pour des V6. Et les vessies pour des lanternes...
Symptôme du tsunami idéologique ayant bouleversé les bureaux d'étude, une référence du chic universel telle que la Mercedes Classe S vient d'adopter un moulin à 4 cylindres en entrée de gamme. Contraintes énergétiques aidant, la Chine y viendra aussi. Une aubaine pour PSA Peugeot-Citroën qui, à défaut de stratégie visionnaire, trouve là manière à justifier l'abandon pur et simple de son unique V6 à essence, l'obsolète "ES9", héritier du tristement célèbre "PRV". Deux V6 en près d'un demi-siècle, vous avez dit développement durable ? Il est vrai que la groupe français, en complète débandade sur le segment des grosses berlines, ne voulait ni ne pouvait remplacer son V6 au rendement d'un autre millénaire (3l pour 210 sempiternels canassons-vapeur). Même le V6 supermazout de 3l et 240 ch produit par Ford, soit, ne riez pas, le plus puissant moulin jamais proposé en série par PSA, devrait à terme disparaître au profit du nouveau 2,2l de 204 ch. Et Vincent Rambaud (directeur de la marque Peugeot, Ndrl) de confier à la presse : "Un moteur comme l’Hybrid4 ou une technologie comme l’e-Hdi sont plus porteurs que 300 ou 500 chevaux et huit cylindres. Cela pour des raisons "légalo-fiscales" mais aussi sociologiques et idéologiques. La marque (...) assoit son ambition de montée en gamme sur ce type de technologies." Dur...
... mais qu'importe l'ivresse pourvu qu'on ait le flacon !
(A suivre)