L'aire des laides.
Horreur à la une ! Rassurez-vous, il ne s'agit pas là du restylage que la Citroën C6 attend comme Godot. Par bonheur, ce gag ambulant digne des pseudo-scoops et potins foireux d'Auto-Torchon n'est qu'un "mulet" destiné à valider les dessous de votre futur idiospace. Des stagiaires du bureau d'étude Citroën se sont sans doute beaucoup amusé à "embellir" cette saucisse d'optiques d'Audi Kéké et d'une myriade de LED à la K2000. Aujourd'hui, cela fait encore rire, preuve que le bon goût n'a pas complètement disparu, mais demain, vous roulerez dans pareil sapin de Noël. Vraiment ?
Pépées et bagnoles se disputent, on le sait, le temps de cerveau disponible du mâle alpha. Toutefois, si la norme érotique occidentale conduit les sylphides en fleur à onduler de la croupe en fute taille basse et chausses fines, c'est tout le contraire que l'on observe chez leurs rivales en pneumatiques. Ceintures de caisse hautes comme la taille d'une Marie la Vertu, pointures d'écrase-merdes : on a connu plus gracieux comme muse ambulante. Est-ce pour cela que tant de jeunes coqs évoquent leur Tédéï Esse-laïne ou autre Trois Trente Dé au masculin ?
Las, le design automobile se vulgarise à marche forcée depuis au moins dix ans. Comparez 406 et 407 coupé et vous comprendrez. Cela a commencé avec les outrances des années Bangle, l'homme qui a défiguré les BMW. Son style déconstruit, fait d'un amoncellement de formes géométriques disparates a eu beau s'assagir en descendant en gamme, le goût du lourdingue a gagné la planète automobile, de la citadine de pouffe au tank de ploutocrate. Cela a continué par la vogue du blanc, teinte synonyme chez nous d'utilitaire inodore, mais prisée des pétromonarques à fort pouvoir d'achat, puis vint l'aire des LED (l'aire des laides !) qui constellent vos autos comme autant d'arbres de Noël.
Regardez donc à chaque coin de rue le péquin moyen au volant de monstres à roulettes exhibant pêle-mêle gueules béantes, regards de tueur et indispensables guirlandes de LED. Bling-bling quand tu nous tiens ! S'y prête l'air d'un temps privilégiant l'exhibition décomplexée de ses stocks-options à l'hypocrisie égalitariste de nos vieux frontispices. L'exemple vient d'en haut si l'on en juge les caprices d'un président à la maturité affective d'un adolescent de treize ans ou les frasques vomitives d'au-delà des Alpes.
Pire, la stagnation de la croissance européenne et la migration de l'épicentre du marché vers l'Asie conduisent les constructeurs à courtiser les primo-accédants chinois impatients d'afficher à leur tour les signes ostentatoires de réussite sociale. Alors, il faut que ça brille, il faut que ça en jette (et tant pis si le moteur n'a rien de sportif et le conducteur, rien d'un pilote.) J'appelle cela le stade phallique de l'automobiliste, et il se pourrait bien que ces clients immatures mais de plus en plus nombreux, dictent demain l'archétype de la voiture universelle comme le fait la ménagère de moins de cinquante berges pour la télé-poubelle.
Regardez encore nos rues encombrées d'horreurs trop voyantes. Le marché globalisé semble avoir tranché. Le client européen, hier encore étalon mondial, a-t-il toujours les moyens d'influer sur le contenu de son garage ?