Euromuscle.
Rien n'arrête la passion. Depuis que l'auto se consomme (et se consume !) en masse, il y a toujours eu une demande pour des modèles à hautes performances issus de la grande série, mais selon des critères et des formes bien différents suivant les continents. Ainsi, les disparités topographiques de part et d'autre de l'Atlantique nous ont donné des sportives aussi antagonistes que la Shelby GT350 et la R8 Gordini, la muscle car et la GTI. Cependant, la fascination exercée par la culture yankee durant les Trente Glorieuses et les débouchés prometteurs du marché américain ont inspiré aux européens quelques coupés surmotorisés aussi sulfureux que bien des muscle cars. De là à déterminer l'archétype de l'"euro muscle car" de même qu'il existe une définition du western spaghetti, il reste quelques raccourcis à éviter.
La culture automobile d'un pays est dans sa géographie. On ne peut comprendre les péniches mollement suspendues d'outre-Atlantique sans avoir à l'esprit la linéarité sans fin d'un réseau routier à l'échelle d'un continent fait pour circuler à des allures de sénateur, le régulateur de vitesse calé sur 70 MPH et le V8 bourdonnant à des régimes de croiseur. Point de lacets pervers ni de sinuosités alpines pour mettre à mal les suspensions de landau et les pneus à flanc haut ! Pour susciter la frénésie consumériste des plus ardents baby-boomers, les Big Three se contentent de greffer leurs Big Blocks à d'honnêtes coupés populaires (les pony cars). Ils y apposent peintures de guerre, excroissances viriles et monogrammes tapageurs. Les freins restent à tambours, l'essieu arrière, rigide, mais cela suffit à engendrer quelques "muscle cars" d'anthologie au plus fort des sixties : Pontiac GTO, Dodge Charger et Challenger R/T, Chevy Camaro SS, Ford Mustang Boss, Plymouth 'Cuda...
Mise en rime par Gainsbourg, immortalisée par Lelouche sur la plage de Deauville au petit matin, l'emblématique Ford Mustang n'a connu chez nous qu'un succès d'estime. Par ailleurs, la plupart des versions irrégulièrement importées ne peuvent prétendre au titre de muscle cars. Entendons par là qu'il ne s'agit pas des plus "gonflées", même s'il suffit d'avoir huit cylindres pour rouler des mécaniques à Saint-Trop'. Au-delà, difficile de croiser de telles barges sur notre dense et tortueux entrelac de voies séculaires. Autre continent, autre héritage géo-historique, autres voitures. Alfa Romeo, Alpine-Renault ou Morris Garage, la sportive "populaire" européenne se conçoit d'abord compacte et de moyenne cylindrée. Les quatre cylindres forment le gros des troupes. Les six cylindres marquent déjà l'appartenance à une élite née un cuiller d'argent dans la bouche. Quant au V8, bien qu'inventé en France, il reste durablement attaché à la culture pop' américaine.
Les muscle cars européennes, si l'on en accepte l'existence, pourraient bien se trouver dans le foisonnement des hybrides à V8 yankee qui voient le jour dans les années 50 à 70 : AC, Bristol, Jensen, TVR, Iso, Monteverdi, De Tomaso et j'en passe. Pour nombre de petits constructeurs à petit budget, l'Amérique qui produit des V8 en masse est le supermarché de la puissance à bon compte. D'autant que l'outre-Atlantique représente un débouché tout indiqué pour les grosses cylindrées en même temps qu'une source précieuse de devises dans les années d'après-guerre. Très dépendants du marché étasunien, Rolls-Royce puis Aston Martin abandonnent leurs six cylindres typiquement européens pour des V8 d'inspiration US, bien que sensiblement plus raffinés (bloc alu chez Rolls, arbres à came en tête chez Aston).
Pour accueillir son nouveau moteur, Aston Martin adopte une carrosserie en rupture avec la hautaine prestance des DB4/5/6. En 1967, la proposition du jeune styliste William Towns, très marquée par l'influence des pony cars, est préférée à celle de Touring. Une mini-révolution à Newport Pagnell ! La ligne fastback de la nouvelle DBS (après le retrait de David Brown, en 1972, elle s'appellera simplement V8) mélange profil de Ford Mustang et de Chevy Camaro. A bord, la planche de bord inclinée vers le pilote évoque plutôt la Corvette. En 1972, la nouvelle calandre béante flanquée de deux phares circulaires adapte la traditionnelle entrée d'air en chapeau de gendarme à un faciès de Mustang. La V8 Vantage de 1978 exacerbe la connexion transatlantique avec le décrochement de sa poupe façon Pontiac Firebird et son capot que semble vouloir crever la batterie de carbus. Aux states, la répression routière et les lois antipollution ont déjà eu raison des muscle cars, mais leur influence perdure encore dans cet anachronisme roulant. Par le charme subversif de son profil sous stéroïdes, son bataillon de bons vieux carbus et le grondement de son moulin à réveiller un mort, cette V8 Vantage représente pour moi l'archétype de l'euro muscle car mariant à merveille luxe et brutalité. Sauf qu'il ne s'agit pas littéralement d'une muscle car, par définition populaire puisque étroitement issue de la production de masse, mais d'un monstre décadent, démesurément cher et encore assemblé à la main...
Non, nous ne cherchons pas notre Arlésienne au bon endroit. Des propositions, peut-être ? Ramassage des copies à la rentrée !