Familles, je vous hais !
Mon Amour.
A l’approche angoissante de la trentaine, les cohortes moutonnières de Scénic grisâtres me plongent dans les épais ténèbres des matins sans caféine. Telles ces interrogations parasitaires sur ma situation matrimoniale, le nom de ces Renault-là sonne comme un rappel à l’ordre de l’inconscient collectif vers le lit conjugal et me ramène sans ménagement à ma basse condition d'inséminateur ordinaire.
Lot commun des mâles nécessaires prêts à ensemencer autant de ventres sur pattes, ces bétaillères à mioches sentent le talc tiède, les tétines humides et les couches-culotte usagées. Et s’il s’agit ici de considérations scéniques, c’est surtout au sens des scènes de ménage, là où théières aériennes et soucoupes volantes viennent déchirer le beau ciel bleu des amours pliant sous le poids des chaînes.
N'en doute pas un seul instant, mon Amour, en ces temps où l’ordre moral semble devoir balayer l’esprit de sédition, je ne me laisserai pas enchaîner sans combattre. Les lessiviers du losange auront beau aguicher le futur planqué à coup de jantes sport et de faux placages en alu, leurs Scénic n’en resteront pas moins aussi envoûtant qu’une Christine Boutin en porte-jarretelles et dessous cuir.
Alors, viens ma sauvageonne ! Embrasse-moi que je t’embrase, étreins-moi que je m’éreinte ! Viens t’égarer, le corps à cran et la crinière au vent, et viens consumer avec moi le reste de jouvence qu’il nous reste. Nous n’avons plus de temps à perdre. Dame Nature saura nous rappeler, je ne le sais que trop, ce pour quoi nous avons été conçus.
Muse enchanteresse et mère pondeuse ne sont que les deux facettes de la même médaille et je redoute le jour fatal où tu me suggérerais, entre le creux de l’oreille et celui de l’oreiller, de semer en toi ma mauvaise graine sans que je puisse te refuser quoi que ce soit.
Ma fonction biologique accomplie, je n’aurais plus qu’à me glisser à mon tour derrière le volant d’un Scénic avec deux ou trois têtes-à-claques dans le dos, et rejoindre mes pantoufles en attendant l’inexorable chute. Si ce malheur devait nous arriver, ne pouvant me résoudre à voir ta jeunesse se flétrir au fil des portées successives, je te promets, mon Amour, de t’étrangler aussi sec.