Pari gagné pour Chris Bangle ?
Chris Bangle, le grand manitou du design BMW depuis 1992 et talentueux dresseur de polémiques, va quitter l'automobile. Voilà nouvelle qui ravira les protagonistes de la croisade anti-Bangle et autres signataires de la pétition Stop Bangle en ligne. En dépit des fatwas, l'Américain aura réussi à bousculer la succession assomante de modèles tous semblables les uns aux autres depuis des lustres, tout en s'assurant la confiance d'employeurs sévèrement conservateurs. Un exploit quand une pointure aussi repectée que Paul Bracq n'avait pas réussi en son temps à infléchir la sacro-sainte calandre inversée, symbole fétiche de BMW.
Toutefois, le renouveau sismique apporté par Bangle ne fait cependant pas de ses oeuvres des canons de beauté universelle. Souvenez-vous de la lourdingue BMW série 7, codée E65/66 en interne. Cette oeuvre de rupture et point de départ de la controverse Bangle, avait été la première à faire rimer esthétique avec pathétique, en 2001. Redécouvrons-là aujourd'hui.
Son air bonasse de gros cétacé exhibant fièrement ses fanons ne nous rappelle aucun autre requin BMW produit précédemment. Oubliez donc les précédents modèles et la cohérence nauséeuse d’un design cent fois éculé afin d’admirer cet agrégat disparate de formes géométriques simplifiées à l’extrême. Reniez sans tarder les harmonies consensuelles d’avant-hier pour mieux savourer la brutalité de ces volumes brisés ne concédant rien à la logique trop prévisibles des lignes continues. Ne regrettez pour rien au monde l’ergonomie monotone d’un poste de conduite sans surprise, l'interface électronique i-drive vous procurant les sensations uniques de Grand Turismo sans qu’il vous soit nécessaire de ressortir la Play Station ! Las de pester contre la pensée unique d’une esthétique redondante, vous aurez tout le loisir de goûter à la provocation maîtrisée d’un des volants les plus hideux jamais monté sur une voiture de luxe !
Heureusement ou hélas, BMW aura très vite mis de l’eau dans son vin au vu du restylage dont la série 7 E65/66 sortit nettement édulcorée, en 2004. Quant aux ressortissantes des série 5, 3 et 1 revisitées par Bangle, elles témoignent d'un sérieux assagissement de l'Antéchrist des béhémistes canal historique. Aveu d'échec implicite ou maturation d'un style qui se cherchait jusqu'alors ? Toujours est-il qu'à l'heure du bilan, BMW sort grandit de cette aventure encore inimaginable quelques années auparavant. Mais peut-on pour autant attribuer la remarquable croissance de BMW ces dernières années à la seule esthétique de ses modèles ? Car BMW n'est pas un constructeur comme les autres. Ne serait-ce pas plutôt l'irrésistible aura de son blason qui aura préservé la firme de Munich d'un cinglant désaveu, là où un Renault, tout aussi audacieux sinon fou, aura vu ses Avantime et Vel Satis irrémédiablement condamnées ?