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LE BLOG DE LA JAMAIS CONTENTE.
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17 octobre 2011

Renault et les français : je t'aime, moi non plus ?

Ironie d'un monde profondément cynique, c'est le constructeur tricolore ayant le plus délocalisé qui communique à l'envi sur sa complicité centenaire avec les français. Pas sûr que les ouvriers sur les sellettes de l'ex-Régie Nationale apprécient cet étalage hypocrite de guimauve à longueur de spot TV et d'expo 4L. Pas sûr aussi que les bénéficiaires de la prime à la casse aient commandé leur Twingo slovène ou leur Clio turque par pur patriotisme économique. L’histoire d’amour entre Renault et les français aurait-elle déjà fait les frais de la mondialisation ? Retour sur les hauts et les débats d'une passion nationale.

L’argent apatride n’empêche pas les entreprise de revendiquer racines, histoire et culture. Au même titre que Fiat au-delà des Alpes ou Volkswagen outre-Rhin, l’aventure Renault se confond avec l’histoire économique, sociale, politique, intime de millions de français. Pour la gloire. Et parfois aussi, la honte. De l’ascension de la rue Lepic en voiturette, en 1898, à la forteresse ouvrière de l’île Seguin inaugurée en 1929, Louis Renault connaît une réussite fulgurante. Au lendemain de la grande saignée de 14-18, il conduit d’une main de fer la première entreprise privée de France et produit à peu près tout ce qui roule : auto, camion, bus, tracteur agricole, tank.

La firme de Billancourt entre dans nos livres d’histoire lors de la Grande Guerre. Dès septembre 14, les Allemands franchissent la Marne. Paris est menacé. La défaite se profile. Afin de renforcer l’acheminement des troupes vers le champ d’horreurs, le général Galliéni ordonne la réquisition des quelques 600 taxis parisiens, pour la plupart des landaulets Renault AG1, issus d’un appel d’offre de 1905. On connaît la suite. Paris est sauvé. Les taxis de la Marne entrent dans notre imagerie d’Epinal à défaut d’avoir joué le rôle majeur qu’on leur attribue plaisamment. A partir de l’été 1918, les fameux chars Renault FT17 contribuent à repousser la dernière grande offensive allemande. Le FT17, c’est le premier char léger produit en masse (3500 exemplaires) et l’archétype du char moderne à tourelle. Dans une guerre totale où s’épuisent toutes les ressources d’une nation, la victoire se joue aussi dans et par les usines. A ce titre, Louis Renault est décoré de la grande-croix de la légion d’honneur, en 1918. Sa société en tire un prestige tel que l’on choisit le char de la victoire pour symboliser la marque, en 1919. Le fameux losange, lui, n’apparaît qu’en 1925.

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Au cours des années 20, la fibre patriote est couramment utilisée comme argument publicitaire. "La terre française doit être mise en valeur par un tracteur français" dit la réclame. On n'est pas loin du populisme petit-paysan sur lequel germera le pétainisme, mais ce type d'argumentation n'a pas encore la connotation péjorative qu'on lui connaît aujourd'hui. Du reste, la terrible crise des années 30, qui entraîne notamment la chute du rival du quai de Javel, envenime les crispations nationalistes. La République fragilisée par les extrêmes ne résiste pas au désastre de juin 1940. Louis Renault, comme tant d’autres, est contraint (?) à la collaboration. Si la production des véhicules particuliers est prohibée, Billancourt fabrique des camions pour la Wehrmacht. En conséquence, les alliés bombardent l’île Seguin en 1942-43, épargnant par miracle le prototype de petite voiture (la future 4CV) étudié à l’insu de l’occupant et d’un Louis Renault prostré par une maladie cérébrale.

Accusé (à tort ?) de collaboration et frappé d’indignité nationale, Louis Renault disparaît dans la confusion de l’épuration. Nationalisée en janvier 1945 par le gouvernement de Gaulle, l’ex-empire de Billancourt devient la Régie Nationale de Usines Renault (RNUR). Face aux pénuries d’acier le plan Pons régente le marché automobile et distribue les rôles. A Citroën les grandes voitures, à Peugeot les moyennes et à Renault les petites. Pas fou, l’Etat favorise les intérêts de sa Régie au grand dam de Citroën qui travaille à la 2CV. La place est libre pour la 4CV qui triomphe au salon de 1946 mais que personne ne peut encore acheter. La production ne démarre qu’à l’été 1947. Le délais d’attente atteignent bientôt un an. Après les privations des années d’occupation, les français avides d’accéder à l’invention du siècle, entrent dans la société de consommation. La 4CV est la première voiture française à dépasser le million d’exemplaires. Entre le losange et les masses se construit une longue histoire commune émaillée de modèles entrés dans la mémoire collective (R4, R5, Clio, Twingo, Scénic…) Renault s’installe définitivement (?) en tête du marché français, devant les "privés" Citroën, Peugeot et Simca. En 1980, la Régie pèse à elle-seule 40% des immatriculations d’automobiles dans l’hexagone.

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De l’OS à l’X-Mines, de l’auto-école au corbillard, toute une nation ou presque roule en Renault, à fortiori lorsqu’elle sert les tentaculaires administrations et entreprises d’Etat, diront les mauvaises langues. Qui ne souvient pas de sa première partie de jambes en l'air en Renault, de la tournée du facteur en 4L jaune, du Paris des bus Saviem à plate-forme, des képis dissuasifs en Estafette le long des Nationales ou du balais des R25 ministérielles au journal de 20h ? Renault, institution nationale, paraît intouchable. Amoché par le plagiat de la 2CV par la R4, et le fait que la copie dépasse l'original, le PDG de Citroën, Pierre Bercot, doit renoncer à son procès pour concurrence déloyale au motif qu’"on ne plaide pas contre l’Etat, propriétaire de la Régie."

Avec la R5, Renault définit durablement l'archétype de l'automobile français moderne : une petite traction bicorps à 3 ou 5 portes, moteur 4 cylindres et hayon arrière. En un mot, populaire. Il sera d’autant plus difficile à Renault de vendre des grosses berlines, à fortiori statutaires, en dépit du succès relatif, car limité à l’Hexagone, des 25 et Safrane. Par ailleurs, la tentative de faire de l’Alpine une Porsche à la française se soldera par un échec cuisant, y compris à domicile. Il existe un seuil financier au-delà duquel le client n’accepte plus d’acheter une Renault.

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"Quand Renault éternue, la France s’enrhume" prétend la célèbre formule. Renault, c’est bien sûr et surtout le symbole d’un capitalisme à la française cogéré par l’Etat-providence et la CGT. Une exception française qui fera dire à Jacques Lessourne que "la France est une Union soviétique qui a bien tourné". De mai 36 à mai 68, l'emblématique usine de Boulogne-Billancourt, sur l'île Seguin, est à l’avant-garde des conquêtes sociales et sert de bastion à un syndicalisme tout puissant.

C’est dans cette forteresse ouvrière, plus grande usine de France avec ses 30.000 employés et ses 40 nationalités, que bat de pouls social du pays. C'est là que les leaders gauchistes distribuent leurs premiers tracts (Deng Xiaping passe par Billancourt dans les années 20), là que l’on évoque en meeting le gouvernement populaire ou l'autogestion (Billancourt l’a rêvé, Lip l’a fait), là encore, en ce mai 68 de toutes les utopies, que les étudiants du quartier latin, harangués par un Jean-Paul Sartre à moitié sénile, tentent d'établir la jonction avec la classe ouvrière.

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De Gaulle siffle la fin de la récréation mais l'agitation idéologique se poursuit dans les années 70. La gauche prolétarienne, groupe radical d'obédience maoïste, prend racine et multiplie les accrochages avec les vigiles de Renault. En 1972, un de leur militants est tué. Des anciens de la gauche prolétarienne, devenus membres d'Action Directe, en feront payer le prix à Georges Besse, PDG de Renault assassiné en bat de chez lui, en 1986. Cette mort brutale intervient dans un contexte économique désastreux pour l'industrie automobile française. Dégraissages massifs, coupes sombres : la croissance ininterrompue des Trente glorieuses a depuis longtemps cessé et les chimères de la gauche au pouvoir ne peuvent inverser la tendance.

Les nuages s'amoncellent sur une île Seguin progressivement délaissée au profit de Flins ou Douais. La CGT se croit encore suffisamment influente pour proposer un projet de remplaçante de la 4L (la R2) à même de pérenniser le site. Las, en 1986, la R4 quitte son fief historique pour achever sa vie industrielle en Slovénie. Les modernisations intervenus à l'arrivée de l'Express font renaître un temps l'espoir. Il ne s'agit là que d'un sursis. En 1989, l'annonce de la fermeture tombe. Le 31 mars 1992, la dernière voiture, une Supercinq société blanche, quitte l'île par bateau, ne laissant derrière elle qu'un vaisseau fantôme.

L'histoire s'accélère. Privatisation, alliance avec Nissan, délocalisations : en dix ans, l'ex-Régie Nationale, désormais géant mondial, change de tout au tout. A sa tête, le cost-killer franco-brésilien Carlos Ghosn remplace l'énarque Louis Schweitzer, ancien directeur de cabinet de Laurent Fabius. Tout un symbole. Inévitablement, la France rétrécit. En 2011, Renault n'y fabrique plus qu'un quart de ses véhicules. L'Etat, à présent simple accompagnateur de la casse sociale, ne peut que faire vainement les gros yeux. Les consommateurs, eux, ne semblent pas s'émouvoir, indifférents ou résignés qu'ils sont face à la fatalités de la globalisation. Après vingt de propagande néo-libérale et de doctrine TINA ("There Is No Alternative"), les esprits sont semble-t-il préparés à accepter le premier fleuron du losange fabriqué en Corée. Tout juste relève-t-on une manifestation bon enfant de militants CGT autour de la "Platitude", au Mondial 2010. C'était encore faire trop d'honneur à cette fadaise roulante.

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Commentaires
P
Bravo et merci! <br /> <br /> <br /> <br /> Bien écrit, dynamique, comme le reste du blog d'ailleurs, je cite "l'imprimerie à permit aux d'apprendre à lire, internet leurs à permit d'apprendre à écrire".
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